Nous sommes nombreux à avoir assisté un peu médusés à cette étrange
« réunion de travail » durant laquelle un président en bras de chemise
exprime avec une évidente auto-satisfaction des annonces vagues, des
métaphores creuses et des références surprenantes devant un parterre de
courtisans attentifs et consciencieux dont on imagine sans peine les
notations assidues:
- Penser à acheter un tigre et une selle
- Aller chercher des croque-monsieur dans « la cale »
- Réfléchir à des représentations sans public, à des livres sans lecteurs, à une radio sans auditeurs, à du cinéma sans spectateurs…Et pourquoi pas à un président sans administrés?
- Penser à acheter un tigre et une selle
- Aller chercher des croque-monsieur dans « la cale »
- Réfléchir à des représentations sans public, à des livres sans lecteurs, à une radio sans auditeurs, à du cinéma sans spectateurs…Et pourquoi pas à un président sans administrés?
Un
ami historien avec lequel j’évoquai cette prestation me rappela à cette
occasion le discours du Général de Gaulle à la maison de la culture de
Bourges: « la culture domine tout. Elle est la condition sine qua non de
la civilisation d’aujourd’hui comme elle le fut de celle d’hier et
comme elle le sera de celle de demain. » C’est beau, ça suit un rythme
ternaire, comme à peu prés tous les discours du général de Gaulle et
comme la plupart d’entre eux (si l’on met à part l’appel du 18 juin,
mais il ne l’a pas prononcé en tant que président) ça ne veut
strictement rien dire du tout, ça ne dessine aucun cap, ça ne laisse
aucunement présager du moindre cahier des charges.
Je ne sous-estime pas le scandale de ma confession quand je vous
aurai avoué que les discours du Général de Gaulle me plongent le plus
souvent dans un ennui profond, un peu consterné devant l’admiration
qu’ils suscitent dans certains milieux. Il est des personnes qui vous
disent: « J’ai toujours été gaulliste! » Et on a envie de répondre:
« Oui moi aussi mais c’était juste avant que je comprenne la différence
entre dire et parler. » Les grands gestes, les trémolos, les envolées
lyriques bien scandées , le style ampoulé, les postures avantageuses, au
bout d’un moment ça ne fait pas tout et surtout ça ne cache pas le
manque cruel de « fond ». La référence de cet ami consistait à suggérer
que le rôle des allocutions d’un président de la 5e République n’est
peut-être pas de « nous dire des choses », surtout, surtout quand il
s’agit de culture. De ce point de vue, le sourire en coin de notre
président est très éloquent: « Ah! Vous allez voir ce que vous allez
voir on a pas fait une classe prépa Lettres pour rien: première partie:
le tigre, 2e partie: la cale avec le croque-monsieur de Robinson Crusoé
(Cherchez pas!) 3e partie: les choses concrètes, sauf que de choses
concrètes en l’occurence: Nada! Lisse et creux comme une intervention
de Bernard Henri Lévy à l’heure des pros! Le silence éternel des espaces
infinis qui nous effraient plus des masses, en fait!
Dans
« La société contre l’Etat », Pierre Clastres revient sur les trois
conditions qui selon R. Lowie définissaient le rôle du chef dans
certaines sociétés tribales d’Amérique du sud:
- Le chef est un faiseur de paix. Il occupe la fonction de médiateur
- Il doit être généreux et offrir ses biens
- Seul un bon orateur peut accéder à la chefferie
Ce qui intéresse Pierre Clastres dans l’intégralité de ce livre,
c’est de dissocier le pouvoir et l’autorité car précisément, le point
commun de toutes ces collectivités était de ne pas accorder la moindre
autorité au chef. Finalement ce que les membres de la tribu attendait de
leur « guide » c’était simplement d’être « un type bien », capable de
concilier des partis opposés, de donner aux autres des biens qui lui
appartenaient et de parler avec conviction, beauté, style. Par contre,
il n’était absolument pas question qu’il décide de quoi que ce soit pour
le groupe. Bref ce qu’on attendait de lui, c’est du charisme, pas de
trancher, ni de peser sur la vie individuelle des Nambikwara, des
Tupinamba ou des Sherenté. Voilà ce que dit notamment Pierre Clastres
des Toba du Chaco et des Trumai du Haut-Xingu: « ils ne prêtent pas trop
attention au discours de leur leader qui parle ainsi dans
l’indifférence générale, mais cela ne doit pas masquer l’amour des
indiens pour la parole: un Chiriguano explique l’accession d’une femme à
la chefferie en disant: « Son père lui a appris à bien parler! »
Bref ce que les indiens attendent de leur chef c’est du charisme sans
autorité et ce à quoi nous sommes voués, nous, dans nos sociétés
modernes, occidentales, c’est exactement à l’inverse: « de l’autorité
sans charisme », de l’autorité qui fonctionne à vide parce que ce
discours débouche concrètement sur quoi? Comme de nombreuses personnes
l’ont fait remarquer: à des annonces importantes pour le cinéma, mais
rigoureusement à rien de nouveau pour le spectacle vivant, pour le
théâtre, la musique, la chanson, et surtout à rien pour les intérimaires
du spectacle qui sont pourtant les vrais perdants du confinement (aux
dernières nouvelles Omar Sy et Catherine Deneuve se portaient plutôt
bien).
Nous avons assisté à un exercice de style sans style, à des
paroles absconses dans les espaces confinés d’un petit salon Elyséen qui
va bien et qui ne gênerait pas s’il avait au moins l’élégance propre à
ces chefferies des sociétés tribales de l’Amérique du Sud de ne pas
prétendre à l’exercice de la moindre autorité.
Super chemise, au fait! |