jeudi 2 juillet 2015

Exister sans vouloir dire


Evoquer une telle lettre d’Adieu pour « lancer un blog » peut sembler déplacé voire morbide, mais nous savons bien qu’il existe autant de façons de se tuer que de vivre, tout simplement parce que l’un revient nécessairement à l’autre. Pour Virginia Woolf, vivre avait un rapport tout aussi profond que problématique avec « écrire », mais c’est en cela qu’elle « consistait ». Cela signifie que c’est en tant qu’écrivain qu’elle existait. Dés lors qu’écrire ne lui était plus possible, à cause des voix qu’elle entendait, vivre n’était plus concevable, ou bien justement ce n’était plus que cela qui lui restait : vivre et non plus exister.
Mais tout ceci est encore trop philosophique (alors que l’esprit de ce blog consiste entre autres choses, à ne pas se limiter à une approche exclusivement philosophique de la réalité). Il y a un rapport fondamental, puissant et fécond entre l’écriture et le silence. C’est ce rapport qui fascine certains écrivains comme Beckett, Nathalie Sarraute, l’essayiste Maurice Blanchot et bien d’autres. Avec Virginia Woolf, nous nous situons exactement dans « ce courant » qui explore la possibilité qu’on ne commence « vraiment » à écrire que lorsque justement on a dépassé l’ambition de dire quelque chose. Il n’est plus question de  faire valoir un avis, une remarque édifiante ou "bien-pensante" sur la réalité mais seulement de se maintenir à ce niveau là, c’est-à-dire à hauteur d’existence avec tout ce que cela implique d’extrêmement juste, exact, tout à la fois d’évident, de brut et d’excessivement « travaillé ».
J’ai été profondément touché par la description du suicide de Virginia Woolf, et ce, pour des raisons extérieures à son œuvre littéraire que je ne connaissais pas encore. Ayant à réfléchir avec certains de mes élèves sur l’euthanasie. Il m’a semblé que ce pseudo suicide contenait en germe des éléments extrêmement riches sur cette question (précisément ces éléments peuvent être considérés comme « riches » dés lors que nous le appréhendons ni comme des exemples ou comme des contre exemples. Nous n’avons pas à nous demander si Virginia Woolf a eu raison ou pas – Son geste a précisément la justesse de nous révéler cette dimension dans laquelle, enfin, la question ne se situe plus à hauteur de ces termes là). Nous pourrions dire que ce qu’elle nous permet de réaliser, c’est que lorsque vous avez passé votre vie à exister, vous ne courez plus le risque de mourir, vous sentez le feu s’éteindre. Avec Virginia Woolf et sans mauvais jeu de mots, nous comprenons que la mort fait un « flop ». Sa disparition n’est pas davantage « parlante » que son écriture. Elle ne nous « enseigne » rien, elle est riche de ce qu’elle est, et ne dépasse pas symboliquement de son efficience évènementielle : aller prés d’une rivière, se remplir les poches de pierres et rentrer dans l’eau…C’est tout. Ce que nous en pensons de bien ou de mal n’a plus lieu d’être, au sens propre, cela n’a plus de lieu pour être.
Pour prendre l’exemple d’un autre écrivain, lorsque Mishima se donne la mort par Seppuku, cela veut dire quelque chose et…c’est tout le problème. L’une des questions qui devrait nous hanter le plus est celle de savoir si nous pouvons être sans vouloir dire, voire si ce n’est pas exactement quand nous cessons de vouloir dire qu’enfin nous sommes.


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