Les gens puissants ne sont
pas des gens comme nous : nous le savions déjà mais nous avons récemment
eu l’occasion de comprendre pourquoi. Imaginons un homme frappant à la porte de
la maison d’à côté:
- Bonjour ! Je suis votre voisin, je viens vous
voir parce que je me suis dit que ce serait sympa de sceller notre bonne
entente en plantant ensemble un arbre dans mon jardin. Si c’est pas trop vous
demander, est-ce que vous pourriez mettre un costume trois-pièces, demander à
votre épouse de porter sa plus belle robe avec des talons hauts et des bijoux tout
partout et me rejoindre dans mon champ, j’ai déjà fait les tas autour du chêne
et j’ai plongé les deux pelles dans la peinture dorée. Faut ce qu’il faut, pas
vrai ? Deux journalistes de la tribune du Jura libre seront présents et
mon beau-frère est photographe. Ce sera top ! Nous on aura juste à
sourire, à pousser la terre dans le trou et à se serrer les paluches devant les
journalistes pendant que nos épouses feront le pied de grue en ne sachant pas
où trop où se mettre pour être sur la photo sans trop s’étaler dans la bouse de
mon pré. Ca vous tente ?
Posons-nous vraiment la
question de notre réponse à une telle demande et nous devrions prendre
conscience finalement de l’un des critères les plus fiables et les plus
rationnels de la raison pour laquelle nous ne sommes pas « quelqu’un de
puissant », car si vous possédiez un minimum « le sens du
symbole », vous répondriez évidemment :
« - Avec plaisir, je vous rejoins tout de suite,
le temps de mettre Giorgio Armani et je suis à vous. »
Malheureusement, pour l’écrasante majorité d’entre
nous, la réponse sera plutôt :
« - Dites ! Mon vieux ! Sérieux ?
Ca vous dirait pas plutôt qu’on se finisse une bonne bouteille ? Je la
sens pas trop votre idée votre idée de dégueulasser ma seule paire de
chaussures potable dans la gadoue de votre pacage à bestiaux, sans parler de ma
femme : se mettre sur son 31 juste pour nous voir pousser des mottes de
terre avec des pelles passées à la peinture pailletée ? Ça m’étonnerait
qu’elle dise oui tout de suite. »
C’est parce que nous
n’avons pas le sens du symbole pour deux ronds et c’est aussi pour cela que nos
ambitions présidentielles sont absolument nulles : non seulement nous
n’avons aucun projet pour la France, mais nous sommes totalement insensibles,
pour ne pas dire franchement réticents, à la perspective de faire des châteaux
de glaise dans la rase campagne de la maison Blanche avec le clone chevelu de
Monsieur Propre nettoyant liquide multi-usages. Alors qu’Emmanuel Macron,
non !
- Qu’est-ce qu’on fait aujourd’hui, chéri ?
- Aujourd’hui, Brigitte, c’est super ! Avec Donald,
on va marquer un point décisif dans l’alliance transatlantique et poser les
bases d’une entente durable entre nos deux nations par rapport à tous les enjeux
internationaux
- Sérieux ?
- Non, en fait, je vais mettre de la terre autour
d’un arbuste avec Oncle Picsou et une pelle recouverte de papier d’alu. »
Il ne peut y avoir de
fonction présidentielle sans la mise en scène d’actes symboliques : c’est
là une évidence que personne ne saurait remettre en cause. Lorsque les cendres
du corps de Jean Moulin sont transportées au Panthéon, notre sensibilité au
décorum de la mise en scène est à vif et de plain pied avec tous les éléments
de la cérémonie. De même lorsque, le 22 septembre 1984, le président français
François Mitterrand décide, sans que le protocole l’ait prévu, de tenir la main du chancelier allemand
Helmut Kohl devant la plaque commémorative à tous les morts de la première
guerre mondiale, le signal est simple et audible : maintenant les nations
allemandes et françaises peuvent considérer comme un élément de leur passé
commun tous les conflits qui les ont opposés. C’est un « signe »,
c’est-à-dire que le signifiant : « mains tenues » a un
signifié : « La France et l’Allemagne ont une seule vision d’un
épisode fondamental et conflictuel de leur histoire ».
Donald Trump et Emmanuel
Macron remplissent un trou dans le jardin de la Maison Blanche : c’est de
la communication qui tourne à vide, sur elle-même, de la communication sans
langage, du signifiant sans signifié.
Un léger détail qui n’a
pas été révélé pourrait contredire une telle affirmation: la jeune pousse
plantée venait d’une forêt française dans laquelle 2000 marines américains
périrent pendant la dernière guerre. Mais précisément le service de
communication de la Maison blanche n’a visiblement pas jugé utile d’insister
sur cette origine alors que c’est exactement et exclusivement dans cette
information que résidait la nature symbolique de l’acte. Que des personnes
aussi éminentes que Donald Trump et Emmanuel Macron jugent importants de
pousser de la terre autour d’un jeune chêne devrait se suffire à soi-même. Le
service de « communication » n’a plus le temps d’investir le geste
symbolique du minimum d’épaisseur historique sans lequel pourtant, il ne revêt
plus le moindre sens et des millions de téléspectateurs sont ainsi invités à
regarder deux hommes en costume impeccable sous les yeux émus de leurs épouses
respectives entrechoquer leurs pelles dorées sous les flashs des photographes
de presse.
On atteint vraiment le
summum de l’absurde lorsqu’on prête attention à l’ultime rebondissement de la
fable : « la pousse de chêne et les Présidents ». Le petit
arbre a disparu du jardin au bout de quelques jours. Pourquoi ? Parce que,
comme tout « organisme vivant » importé, soupçonné à juste titre de
collusion avec le terrorisme: chiens enragés, chats anarchistes, bourrides
d’huîtres piégées ou Mont d’Or à diffusion lente, l’arbre doit être placé en
quarantaine avant d’être admis sur le territoire. Il sera replanté après cette
période. Mais n’est-ce pas trop tard puisqu’il a bien été mis en contact avec la
pureté aseptique du sol américain ?
«- Non, a répondu Gérard Araud, ambassadeur de
France aux EU, les racines avaient été isolées avec un plastique de
protection. »
Ce que les deux présidents
ont donc soigneusement enterré avec leurs superbes pelles repeintes à l’aérosol
doré c’est un Tupperware. Le chêne a disparu mais reste à déterminer, dans la
répartition des rôles symboliques de cette fable édifiante, quels sont les
glands qui sont restés.
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